L’Intelligence Artificielle fait beaucoup réagir…
Décidemment, l’Intelligence Artificielle fait « couler beaucoup d’encre ». Les réactions ne manquent pas de jaillir d’un peu partout, les articles de presse prolifèrent et les médias s’emparent sérieusement du sujet. L’Ordre Des Musiciens peut être fier d’avoir été dans les premiers à alerter sur les conséquences de ces nouvelles technologies. Voici le courrier adressé à Monsieur Patrick SIGWALT, Président de la SACEM le 24 octobre dernier.
Monsieur le Président,
L’Ordre Des Musiciens est une association créée après-guerre par Claude Delvincourt, compositeur, Grand Prix de Rome et directeur du Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris.
Depuis sa création en 1945, cette institution a traversé toutes les époques et surmonté toutes les difficultés en concentrant ses actions au service de la musique et des musiciens.
Attentif aux moindres évolutions qui ont « émaillé » l’exercice des professions artistiques ces dernières décennies, l’ODM soutient, plus que jamais, les professionnels et s’est donc tout naturellement qu’il réagit aux mutations technologiques qui s’annoncent. Il assiste, médusé, à l’intrusion et au déferlement des Intelligences Artificielles dans le domaine de la création musicale. A ce titre, il partage l’inquiétude des auteurs-compositeurs sur la juste répartition de leurs rémunérations.
Au moment où un règlement européen se met difficilement en place sur ce sujet, les contours législatifs restent « flous » quant à la « paternité humaine » de leurs œuvres. Malheureusement, les exemples ne manquent pas sur la confusion des genres entre des créations générées par l’IA et celles conçues par l’humain. Le droit français les considérant toutes deux comme œuvres à part entière si leur contenu est « original » et qu’elles présentent « l’empreinte de la personnalité de l’auteur » …
Comment admettre également le pillage et l’exploitation massifs des données disponibles en ligne par des développeurs peu scrupuleux pour entraîner leur IA ? Ce n’est pas le fameux « opt-out », droit d’opposition que les créateurs ne peuvent brandir qu’après-coup, qui peut les prémunir d’une utilisation abusive de leurs œuvres.
A travers ces exemples, l’évidence s’impose que beaucoup reste à faire dans le domaine législatif. C’est dans ce cadre que l’ODM souhaite apporter à la SACEM les réflexions et les propositions des membres de son Comité National. C’est dans l’intérêt des artistes auteurs-compositeurs que nous nous tenons à votre disposition pour participer à vos débats dans un esprit constructif.
Dans l’attente de vous lire, je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’assurance de ma très haute considération.
Jean-Bernard Hupmann
Président
Il est heureux de constater que nous ne sommes pas seuls, et qu’une mobilisation d’ampleur commence à prendre forme. En voici la preuve avec le dernier communiqué de presse co-signés par l’ADAMI, la SPEDIDAM, le SFA (Syndicat Français des Artistes interprètes), la SNAM et FO SNM du 3 novembre dont je viens de prendre connaissance et que je vous transmets.
L’accord entre Universal et IA Udio se heurte aux droits des artistes-interprètes
Universal Music Group (UMG) vient d’annoncer avoir conclu un accord avec la société d’IA Udio comprenant, entre autres, le lancement d’une plateforme de création musicale par intelligence artificielle. Ainsi, dès l’année prochaine, un service d’IA générative exploiterait le catalogue mondial d’Universal, la plus importante des trois majors de la musique enregistrée.
Alors qu’il se confirme que cette annonce concerne le catalogue français d’Universal, nous rappelons qu’une telle exploitation des enregistrements des artistes-interprètes – que la loi nous donne mission de représenter – ne peut se faire aujourd’hui compte tenu des lois nationales, des textes européens ou des conventions internationales, qui donnent un certain nombre de droits aux artistes-interprètes et aux organisations qui les représentent.
D’une part, les deux organismes de gestion collective de droits des artistes-interprètes français, l’Adami et la Spedidam, signataires du présent communiqué, ont exercé au nom de leur dizaines de milliers de membres le droit d’opposition (« opt-out ») à la fouille de leurs enregistrements par les modèles d’intelligence artificielle générative. Les producteurs et les détenteurs de catalogues, à l’instar d’Universal, ne peuvent pas passer outre cette opposition.
D’autre part, ce nouveau mode d’exploitation des enregistrements ne peut se faire sans l’autorisation contre rémunération de chaque artiste, qu’il s’agisse des artistes dits principaux qui font carrière sous leur nom, ou des musiciens, musiciennes et choristes qui les accompagnent. Ces autorisations font aujourd’hui défaut pour la quasi-totalité des titres protégés, c’est-à-dire enregistrés au cours des 70 dernières années.
Aujourd’hui, le développement peu ou mal encadré des IA génératives pose de nombreux problèmes sur lesquels nos organisations sont mobilisées. Des artistes se sont déjà exprimés pour refuser l’exploitation de leurs œuvres et interprétations par des IA, à plus forte raison sans que soient respectés leurs droits et leurs intérêts. Cette mobilisation doit s’amplifier pour préserver et développer un écosystème qui offre des perspectives d’emploi et de développement de carrière aux artistes de toutes les esthétiques qui font la richesse et la diversité de la création artistique dans notre pays et dans le monde.
L’ODM ne peut que souscrire à ces revendications et s’associe bien naturellement à une mobilisation qu’elle appelle elle-même de ses vœux.
